lundi 28 avril 2008

"S'initier à l'art du sushi" Le Monde - 17 avril 2008

Extraits de l'article de Jean-Claude Ribaut

La préparation des sushis obéit à un cérémonial longtemps resté confidentiel, mais que les Japonais de Paris semblent vouloir, sinon faire comprendre, du moins partager. Il faut près d'une dizaine d'années pour former un maître chef-sushi (sushiya) capable de cuire et d'assaisonner le riz selon l'usage, d'affûter lui-même ses couteaux, de choisir le poisson et de le découper en fines lamelles avant d'assembler le tout avec la dextérité d'un magicien.
[...] Car la découpe du poisson cru requiert non seulement une attention extrême portée au produit (thon, bar, saumon) - au fil de sa chair selon qu'il est découpé en darne ou en filet -, mais aussi au maniement de l'instrument de découpe, un couteau triangulaire à lame d'airain qu'il faut tenir d'une main ferme, l'index pointé au-delà du manche.

L'apprenti perçoit vite que le sushi n'est pas une recette de poisson mais de riz, tant sa préparation et son assaisonnement vinaigré exigent de précautions. Il existe, en effet, plusieurs variantes de sushis : oshi (pressé), maki (roulé), bo (en barre) et chirashi (méli-mélo). Le nigiri sushi est la variation la plus récente, imaginée au XIXe siècle, à l'époque où Tokyo s'appelait Edo, qui consiste en une boulette de riz vinaigré couverte d'abord de poisson salé ou légèrement cuit. "C'est seulement après la seconde guerre mondiale, avec le développement de la réfrigération, explique Emi Kazuko, spécialiste de l'art culinaire du Japon, que l'on a commencé à utiliser du poisson cru." Encore faut-il manier avec aisance ladite boulette de riz au creux d'une main humide pour lui donner la consistance appropriée.

[...]

En quelques années, la mode du sushi a envahi Paris. Cet engouement enrage Toshiro Kuroda. Sa passion culinaire l'a conduit, depuis 1971, à ouvrir plusieurs restaurants (Bizan, Issé) et une épicerie (Workshop Issé) dans le quartier de l'Opéra. Pour lui, la cuisine japonaise est une cuisine des usages, où le geste précis signifie une façon d'être et induit une esthétique. Aussi raffiné et délicat soit-il, l'art du sushi ne saurait cacher la réelle variété de la cuisine japonaise.

"De moins d'une centaine dans les années 1990, le nombre des restaurants japonais est passé à près de 600 à Paris et plus de 300 en province", précise Toshiro Kuroda. Sont-ils tous véritablement japonais ? Rien n'est moins sûr, car Chinois et Coréens se sont ingéniés, ces dernières années, à multiplier les enseignes. Le Japon est vendeur, au point de susciter la création, en 2006, d'un Comité d'évaluation de la cuisine japonaise, qui publie une liste restrictive de restaurants japonais réputés authentiques (publiée sur www.cecj.fr). Toshiro Kuroda regrette cette attitude malthusienne. "Il existe, dit-il, des Japonais qui font une excellente cuisine française, à Paris comme à Tokyo."

Au Bizan, à l'ambiance très zen, prévaut la cuisine traditionnelle de Kyoto (kaiseki), qui nourrit à la fois le corps et l'esprit. La cuisine, comme l'art, note l'écrivain japonais Tanizaki, auteur de L'Eloge de l'ombre, s'enracine au plus profond de la mémoire du Japon. Là-bas, le quotidien est aussi un mélange de soupes bon marché aux nouilles, de brochettes de viande grillée, de poisson tranché cru et de bière locale.

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Article paru dans l'édition du 17.04.08.

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